Entretien avec Caroline Drouault, éditrice des Éditions des Éléphants
Focus sur l'album Rue des Quatre-Vents - Au fil des migrations
Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?
Avant de travailler aux Editions des Eléphants, j’ai démarré aux côtés de Françoise Mateu aux éditions Syros Jeunesse, en 2001. Nous n’étions que deux, et nous publiions albums, romans et documentaires, autour d’une ligne humaniste orientée sur l’ouverture aux autres, aux cultures du monde, aux droits humains. Cette première expérience a été fondatrice pour moi. Elle faisait écho à des valeurs qui m’étaient chères. J’ai ensuite suivi Françoise Mateu au Seuil jeunesse, où j’ai acquis une vraie culture de l’illustration et de la fabrication et où j’ai, un temps, dirigé le catalogue du Sorbier, petite maison au sein de la grande maison Seuil. Puis, décidée à revenir vers une petite structure indépendante, j’ai retrouvé Ilona Meyer, dont j’avais su qu’elle souhaitait monter sa maison d’édition jeunesse…
Pourquoi avoir décidé de créer une maison d’édition ? D’où vient le nom de la maison d’édition ? Combien êtes-vous à travailler au sein des éditions ?
C’est Ilona Meyer qui a fondé la maison d’édition et lui a donné son nom. Elle avait envie de développer sa propre entreprise, et cherchait une éditrice pour l’accompagner dans cette aventure. Nous nous sommes rencontrées, avons parlé de nos envies et de nos projets, et nous nous sommes bien trouvées. C’était parti !
Pour ce qui est du choix de l’éléphant pour le nom de la maison, outre le fait que cet animal est très aimé et très présent en littérature de jeunesse, c’est aussi un symbole de force, de sagesse, d’intelligence, de grâce… Cela nous parlait bien ! C’est aussi un animal qui a une vraie organisation sociale, le sens d’autrui, ce qui n’était pas pour nous déplaire. Sans compter son inénarrable mémoire et sa longévité qui ne pouvaient être qu’une bonne étoile pour nous !
Pouvez-vous décrire votre ligne éditoriale et votre façon de travailler ?
Ces valeurs véhiculées par les éléphants nous ont guidées pour développer notre catalogue. Un catalogue qui se veut intelligent, fort, porteur de sagesse, ouvert aux autres, « gracieux » ! Nous publions une quinzaine de titres par an, en fiction ou en documentaire, tous illustrés. Sans limite d’âges, hormis qu’ils s’adressent à la jeunesse, nos ouvrages parlent aux émotions, aident à grandir, invitent à découvrir le monde, ouvrent à la différence, permettent de se forger un jugement nuancé sur la société.
Ils s'inscrivent souvent dans un registre réaliste (histoires vraies, récits de vie, histoires en écho avec le monde d'aujourd'hui...) mais ce peut être aussi des contes traditionnels issus de différentes cultures. Du côté des collections, « Igor et Souky » permet de découvrir monuments et sites touristiques incontournables à travers le regard de deux enfants, ce sont des docu-fictions pour les 5-9 ans. Et « Mémoire d’éléphant », davantage un axe qu’une véritable collection, rapporte par le biais de témoignages, biographies ou fictions, des destins hors du commun au sein de la grande Histoire.
Nous sommes diffusés par Harmonia Mundi Livre et notre catalogue compte aujourd’hui une soixantaine de titres, créations et traductions confondues.
Concernant l’album Rue des Quatre-Vents - Au fil des migrations, est-ce un projet de commande ou une proposition de l’auteur et/ou de l’illustrateur ?
C’est un projet de commande. Nous avions envie de parler de l’immigration aux enfants, pas par le biais de la crise migratoire que nous connaissons aujourd’hui, mais par la focale de l’Histoire. Notre souhait était de permettre une mise à distance de ce sujet, en montrant que chaque époque a connu ses nouveaux arrivés, qui ont quitté leur terre natale par nécessité souvent vitale, et qu’ils ont rarement été bien accueillis.C’est une histoire souvent trop peu évoquée par l'école et les familles, souvent sujet à polémiques et préjugés.
L’idée de contacter Jessie Magana pour écrire les textes s’est immédiatement imposée. Nous ne nous étions jamais rencontrées mais nous connaissions son travail en tant que directrice de la remarquable collection « Français d’ailleurs » chez Autrement jeunesse, et sa contribution à l’ouvrage Eux, c’est nous, coécrit avec Daniel Pennac, publié en faveur de l’accueil des personnes exilées. Jessie s’est emparée avec brio de cette idée, dégageant quelques dates clés, donnant vie aux personnages, évoquant leur arrivée en France, créant ensuite des familles sur plusieurs générations.
Magali Attiogbé s’est à son tour plongée dans le projet et nous a épatées par ses images d’une immense richesse. Avec l’aide de Jessie Magana, elle a amassé une documentation visuelle très complète, qui lui a permis de glisser dans l’illustration nombre de détails vestimentaires, architecturaux, nombre de références culturelles ou publicitaires, nous permettant de voir évoluer sous nos yeux la rue, les bâtiments, les véhicules…
Pouvez-vous nous expliquer le concept éditorial de cet album ?
Ce livre présente la même rue, de 1890 à aujourd’hui. Chaque double-page présente, à une date clé de son histoire, des destins d’immigrés : nous voyons des personnages qui arrivent, qui repartent, qui s’installent, se marient, interagissent avec les personnages rencontrés dans les pages précédentes. Nous assistons à l’évolution des bâtiments, des commerces, à la construction du métro, à la disparition de l’usine….
Les textes sont courts, placés dans un rabat à droite de l’image, permettant quand on l’ouvre de n’avoir plus qu’une grande image déroulant la rue, sans texte.
Quelles sont les valeurs défendues dans cet album ?
Nous avons surtout voulu montrer que la réalité d’aujourd’hui avait des résonances avec nombre d’histoires vécues il y a vingt ans, trente ans, un siècle ! Le prisme de l’histoire permet de mieux appréhender la réalité d’aujourd’hui. Hier, les Italiens, les Polonais se sont vus moqués, marginalisés ; aujourd’hui les migrants venus d’Erythrée, du Soudan, de Syrie, rencontrent à leur tour des difficultés. Nous avons souhaité témoigner de cette réalité et comme le rappelle Jessie Magana à la fin du livre, nul ne quitte son pays par hasard et aujourd’hui, un Français sur quatre a un de ses grands-parents qui n’est pas né en France. Notre pays s’est enrichi de ces différentes cultures et ce livre nous montre qu’il possible, encore, d’accueillir !
L’auteur et l’illustratrice font toutes deux partie de l’association Encrages, voulez-vous nous en dire quelques mots ?
C’est une association qui promeut le livre et la littérature jeunesse tout en permettant à des publics précaires de s’exprimer, par le biais d’événements, d’ateliers… Elle œuvre également à récolter des fonds pour venir en aide aux plus démunis, notamment les personnes exilées, réfugiées. Elle organise nombre d’événements au prochain Salon du livre de Montreuil : exposition, « parade musicale et festive », table ronde…
Serez-vous au Salon du livre de Montreuil cette année ?
Bien sûr ! Ce sera notre 4e édition. Nous serons au stand F9. Venez nous voir !
Avez-vous envie de nous parler d’un projet à venir ?
Difficile, on aurait envie de parler de tous ! Nous nous essayons à un nouveau genre avec un petit texte illustré, poétique et sensible, autour d’un enfant prénommé Maskime ; un petit garçon pour qui tout est trop grand : son école est trop grande, les grandes personnes sont trop grandes, même sa chambre est trop grande.
Et les choses trop grandes sont effrayantes pour Maskime. Aussi Maskime préfère-t-il les petites choses : la petite araignée qui dort au plafond de la cage d’escalier de son immeuble, la petite pousse verte qui surgit entre le mur de l’immeuble et le bitume du trottoir, l’unique dent du monsieur qui demande l’aumône à la sortie du métro… Jusqu’à sa rencontre improbable avec un… éléphant ! Maskime va devoir regarder le monde autrement, pour intégrer son énorme ami dans son univers de petites choses…
Ce petit ouvrage sera illustré par Irène Bonacina, et aura des petits airs des univers loufoques et poétiques de Sempé ou Quentin Blake…
Et pour les fans d’éléphants, par le hasard des choses, notre programme 2019 fleurira d’éléphants !
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